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Le Japon : un précurseur ?

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Konnichiwa ! J’aime bien le Japon. C’est un paradoxe financier. Après avoir été la deuxième économie mondiale dans les années 80, le pays a connu une crise immobilière qui n’est pas sans rappeler celle que connait la Chine aujourd’hui. Depuis, le pays est englué dans la déflation, le vieillissement et la baisse de sa population, l’explosion de sa dette publique et finalement le lent déclassement de son économie.

Le Japon a tout tenté pour éviter la déflation : mettre le yen au tapis, passer les taux négatifs, concocter plans de relance sur plans de relance avec comme conséquence une accumulation de dette colossale : le pays a un ratio dette/PIB de 255%, le plus élevé du monde bien devant la Grèce et le Soudan ! La banque centrale a même massivement acheté des actions !

À bien des égards, le Japon semble être le laboratoire où des expériences économiques sont menées pour faire face à tous ces enjeux. Et les recettes qui en sortiront seront utiles à l’ensemble des pays qui devront faire face aux mêmes défis comme certains pays développés et la Chine. Car sur bien des aspects, le Japon fait figure de précurseur, en particulier de l’Europe : décroissance démographique, vieillissement, croissance structurelle atone, dépendance aux matières premières, inflation trop faible, endettement démesuré, … Espérons qu’ils ont la solution et s’ils ne s’en sortent pas, si leurs expériences font sauter le laboratoire, on aura appris ce qu’il ne faut pas faire… si possible.

Vieillissement et déclin de la population

Tout part de là, les Japonais ne font pas d’enfants. La population du Japon a un des taux de natalité les plus bas au monde. Depuis son pic en 2009, avec 128 millions d’habitants, le pays a perdu près de 5 millions de résidents. L’espérance de vie y est la plus élevée au monde, entrainant un vieillissement rapide de sa population. Les plus de 60 ans représentent 35% de la population de l’archipel. Les projections indiquent que le pays pourrait perdre près du tiers de sa population d’ici 2050. Cette décroissance et ce vieillissement de la population pèsent lourdement sur l’économie et exercent une pression déflationniste considérable.

Evolution de la population japonnaise

L’Europe s’apprête à relever le même défi. En effet, selon Eurostat, la population de l’UE a décliné en 2020 et 2021. Le taux de fertilité, proche de 1.6 ne permet pas le renouvellement naturel de la population. En deux ans, le nombre de résidents a reculé de 500 000. La baisse de fertilité est notable dans la plupart des pays. L’apport du solde migratoire, bien plus important en Europe qu’au Japon où il est nul, ne parvient plus à compenser le déficit démographique. La population vieillit rapidement, la part des plus de 65 ans dépassant déjà les 20%. L’Italie sont confrontés au problème depuis 2010 et l’Allemagne depuis 2003.

En Chine, c’est pareil, la politique de l’enfant unique a durablement altéré la pyramide des âges. Après avoir été surpassée par l’Inde, la population chinoise a diminué en 2022 pour la première fois de son histoire. Le pays a un des taux de fertilité les plus bas du monde et pourrait voir sa population baisser de 100 millions d’ici 2050. Le gouvernement a bien conscience du problème et tente d’enrayer le déclin. Mais rien ne dit que les mesures de relance de la natalité fonctionneront alors que le nombre de couples diminue au profit du célibat.

Evolution de la population en Chine

Tant en Europe qu’en Chine, la transformation démographique exerce maintenant une pression considérable sur la consommation et donc sur les prix. Car moins de population, c’est moins de consommateurs et moins de jeunes, c’est moins de force de production. C’est pourquoi, tout le monde regarde ce que fait le Japon. Car c’est peut-être ce qui nous attend.

Le retour de l’inflation ? Ils n’y croient pas encore !

Depuis 2 ans, la majorité des nations du globe sont engagées dans une lutte acharnée contre l’inflation à grands coups de hausses de taux. Trois facteurs expliquent l’explosion de l’inflation :

  • Une expansion démesurée de la masse monétaire. Les pays ont inondé l’économie de liquidités à un niveau sans précédent. On n’était pas loin de « l’hélicoptère money » cher à M Ben Bernanke. Or, dans la théorie monétariste, pour schématiser, une trop forte croissance de la masse monétaire est la première source d’inflation. Les banquiers centraux ont depuis complètement absorbé l’excès de liquidité. Ouf.
  • Le grand bazar dans les chaines d’approvisionnement. La Chine a fermé ses ateliers et ses usines pendant plusieurs mois mettant à mal toute la chaine de production mondiale. Depuis lors, la situation s’est améliorée mais cet épisode a fait réfléchir les gouvernements et les entreprises qui se sont engagés dans un vaste plan de re- onshoring qui perturbe à nouveau les chaines d’approvisionnement. Mais bon, il y a encore des pattes et du papier toilette dans tous les rayons.
  • La guerre en Ukraine qui a perturbé les schémas d’approvisionnement en matière premières. L’Europe a beaucoup souffert et souffre encore de l’embargo mis en place tant elle dépend de la Russie dans ce domaine.

Inflation sur 1 an dans les pays développés et émergents

En Europe, bien que l’inflation ait repris, elle a été divisée par deux depuis le début de l’année.  La Chine, de son côté, épargnée par les problèmes de ressources de l’Europe, mais engluée dans une crise immobilière sans précédent pour le pays, est en déflation. Quant au Japon, pour obtenir ce niveau proche de 3%, toujours inférieur à celui des autres pays développés, mais qui selon les standards du pays sont stratosphériques (plus haut depuis 1981), il aura fallu une pandémie mondiale et une guerre impliquant le premier producteur d’à peu près toutes les matières premières possibles.

Mais, voilà, le Japon est le seul pays qui n’a pas voulu changer sa politique monétaire d’un iota. Pour le pays, ce burst inflationniste est une bénédiction et il faut tout faire pour le consolider. Car là-bas, dans tous les esprits, il s’agit d’un épisode éphémère.

La Banque du Japon (BoJ) reste inflexible

La banque centrale maintient sa politique ultra stimulante contre vents et marées faisant le pari que sans cela, l’inflation va retomber commun soufflet. Il est donc urgent de ne rien faire.  Sur la partie plus longue de la courbe, à 10 ans, l’enjeux est considérable. La dette du pays état colossale, toucher à la partie longue de la courbe c’est ouvrir la boite de Pandore. La hausse des taux longs pourrait avoir des conséquences dramatiques sur les banques et les fonds de pensions. C’est pourquoi la BoJ essaie de contrôler l’ensemble de la courbe des taux. Elle achète tout ce qui dépasse, mettant de fait un cap sur les taux. Mais la pression est trop forte. Elle a dû assouplir son contrôle de la courbe il y a 2 semaines. En fait, je pense que la BoJ sait que les taux vont monter mais qu’elle cherche à gagner du temps, à lisser les pertes.

Historique du taux 10 ans

Le gouvernement sur la même ligne que la BoJ

Une dette atteignant 255% du PIB ? la belle affaire ! Le gouvernement n’en a cure. Son objectif reste l’inflation. Pour cela il n’hésite pas à lancer un nouveau plan de soutien de 100 milliards d’euros. Excusez du peu ! L’objectif de ce plan est d’alléger le poids de l’inflation sur les ménages, inflation qu’il cherche lui-même à attiser ! Ces niveaux de dette feraient suer plus d’un gouvernement. À ce niveau, c’est insoutenable, sauf que c’est le secteur privé japonais détenteur de la richesse nationale, qui détient cette dette. En Europe, on n’en est pas encore là. Mais avec le Covid, les finances publiques ont morflé. La dette dépasse maintenant 100% du PIB dans plusieurs pays (en France, en Belgique, en Espagne, au Portugal, en Italie et en Grèce). On se rapproche de là où en était le Japon en 2000.

En Chine, la similarité est encore plus frappante : si on ajoute la dette des gouvernements locaux on atteint le chiffre effarant de 280% !

Dette/PIB au Japon

Une croissance structurellement en berne

L’économie japonaise ne croit plus. Depuis son apogée à la fin des années 80, elle perd du terrain au point de se faire dépasser par la Chine voire par l’Allemagne. La raison ? Une économie en manque de flexibilité, prise au piège de règlementations et de pratiques obsolètes.  Le pays peine à s’adapter à un monde ne perpétuel changement, caractérisé par l’innovation rapide et les évolutions technologiques

L’Europe, confrontée à des défis similaires, souffre également des mêmes maux et d’une propension gouvernementale à privilégier la réglementation plutôt que de stimuler l’innovation. Ce n’est pas pour rien qu’on dit que « l’Amérique innove, la Chine copie et l’Europe réglemente ». Pendant ce temps les trains passent sans s’arrêter : le cloud, l’IA, les cryptos, …

Croissance du PIB

L’enjeu ? La hausse des salaires !

Si aux US l’objectif est de freiner la hausse des salaires, le Japon veut tout le contraire ! Malgré une croissance économique plutôt soutenue ces derniers trimestres et un chômage toujours parmi les plus faibles du monde, les salaires ne montent pas. Les revenus réels (donc ajustés de l’inflation) continuent de décroitre. Or, le premier facteur inflationniste, ce sont les salaires. Tous les effort fournis par la BoJ et le gouvernement resteront vains si les salaires ne prennent pas le relai. Les syndicats l’ont bien compris et se sont mis en ordre de bataille. Ils s’apprêtent à demander des hausses de 5% dès le printemps. Mais rien ne garantit que le patronat acceptera car il faudra rogner sur les marges bénéficiaires. La dynamique entre les syndicats et le patronat jouera un rôle clé dans la détermination de l’impact réel de ces efforts sur l’inflation et l’économie japonaise dans son ensemble.

Hausse des salaires annuelles (moyenne 6 mois)

Le yen, l’indicateur à suivre

La contrepartie de tout ça c’est que le yen n’en finit pas de glisser. On ne fait d’omelette sans casser d’œufs. C’est bien simple, il n’a jamais été aussi faible depuis 1990, juste après ce qu’on appelle depuis la « bulle spéculative japonaise » qui a été le départ de tous les maux du Japon. Cette dépréciation est la conséquence directe du décalage de taux entre ceux du Japon et ceux du reste du monde. Pour les entreprises, exportatrices, cette glissade est une bénédiction.  Mais pour le reste, toute accélération pourrait être très préjudiciable. C’est pourquoi, la BoJ communique régulièrement sur sa farouche volonté de ne pas laisser la devise dévisser. Elle est déjà intervenue à maintes reprises sur les marchés pour soutenir sa devise. Mais bon les réserves de change ne sont infinies non plus… Il y a donc une limite à ces interventions. J’imagine que nos caciques de Francfort seraient au bord de l’apoplexie si l’euro glissait à, mettons, 0.85 contre dollar. Donc, attention à la glissade. Dans ce cas, il faudra que quelque chose s’ajuste. En général ce sont les taux.

Historique de $/yen

Le Japon est donc un animal à part. Pourtant, de nouvelles forces inflationnistes pourraient venir aider le pays. D’abord la transition énergétique. Même si l’archipel est déjà bien engagé dans le nucléaire, la transition énergétique sera inflationniste. On le sait. Par ailleurs, la réorganisation du monde avec la fin de la « pax americana » et les premiers signes de dé-globalisation, s’ils se confirment seront aussi sources de tensions inflationnistes. Apprenti sorcier, le Japon est sur une corde raide et joue à un jeu dangereux. Mais peut-il en être autrement ? Probablement pas.

Philippe de Gouville
CEO et co-fondateur d’Ismo

Philippe vous propose chaque semaine son analyse de l’actualité des marchés financiers sur le blog Ismo. Retrouvez ses précédentes analyses dans la catégorie Actualités du blog.

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